A part ses ennemis, tout le monde aime EDF. L’entreprise a été ce grand service public qui a accompagné les « trente glorieuses » et a été l’architecte du programme nucléaire français qui assure aujourd’hui notre indépendance énergétique avec un excellent bilan carbone.
Malheureusement, EDF a été déclassée au tournant du siècle en « opérateur historique » d’un marché de l’énergie libéralisé par Bruxelles. EDF reste une référence mais les mois récents et les coups encaissés ont révélé une évidence : EDF est mortelle.
En décembre 2015, les syndicats ont exercé leur droit d’alerte puis la société anonyme est sortie en catimini du CAC40 avant que, quelques semaines plus tard, on apprenne la démission brutale du directeur financier sur un désaccord de fond. Non seulement EDF est mortelle mais EDF peut mourir.
Onze années de retard
Le nom d’Hinkley Point concentre l’inquiétude pour l’avenir de notre filière nucléaire à l’heure où Areva est au tapis et Alstom aux Etats-Unis. Le projet de construction d’une centrale EPR à Hinkley Point [Grande-Bretagne] représente un investissement de 16 milliards d’euros pour EDF, déjà endetté à hauteur de 34 milliards d’euros.
Le projet coréalisé avec un partenaire chinois, minoritaire mais qui bénéficie d’un rapport de force favorable, impose à EDF des conditions inacceptables. Le chantier de ce troisième EPR européen s’annonce titanesque alors que l’entreprise n’a pas encore le retour d’expérience du chantier de Flamanville (bilan en cours de cette tête de série : onze années de retard et un surcoût de 7 milliards d’euros).
Face à cette double incertitude, financière et industrielle, la seule justification de Jean-Bernard Lévy et Emmanuel Macron est le prix d’achat garanti, par le gouvernement britannique, à 92,50 livres du mégawattheure pendant 35 ans, assurant une potentielle rentabilité annuelle de 9 % au projet. Des garanties dont les Britanniques eux-mêmes commencent à douter et dont le partenaire chinois doute également, imposant à EDF le versement d’1,6 milliard d’euros d’indemnités au cas où la garantie publique serait rompue.
Il est difficile de croire que l’Angleterre garantira à EDF et imposera à ses citoyens pendant 35 ans un prix d’achat trois fois supérieur à celui du marché actuel !
Détermination ou ego du management
Aujourd’hui les conditions ne sont pas réunies pour s’engager dans le projet d’Hinkley Point. EDF doit mener une stratégie déterminée pour bâtir un avenir à la filière nucléaire, mais la détermination ne doit pas être confondue avec l’ego du management.
L’intérêt stratégique qu’il y a à donner un avenir à l’énergie nucléaire dans le monde de l’après-Fukushima est évident. S’il ne s’agissait que d’Hinkley Point, peut-être pourrions-nous tenter l’aventure, par goût du risque et avec un soupçon de chauvinisme. Mais EDF doit également faire face à la crise européenne sur le marché de gros qui menace son modèle économique, à l’heure de la mise en œuvre du plan « grand carénage », dont le coût est estimé entre 50 et 100 milliards d’euros.
Attaquée à sa gauche par des idéologues et à sa droite par une Commission européenne qui veut la mort du modèle intégré, EDF ne peut se permettre le moindre faux pas. Il est grand temps que l’Etat actionnaire joue son rôle.
Dans le passé, les aventures internationales hasardeuses d’EDF lui ont coûté cher. Aujourd’hui, EDF a besoin de détermination, d’un actionnaire sobre et conséquent et d’un gouvernement qui a une vision de long terme de la politique énergétique.
Jean-Luc Laurent Député du Val-de-Marne (MRC)
Jean-Luc Laurent est maire du Kremlin-Bicêtre et président du Mouvement républicain et citoyen (MRC). Il est membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale qui vient d’auditionner Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF.